Interview du mois avec Milos Milovanovic: «Il faut pour ainsi dire emballer une partie d’échecs dans un dessin animé»

par Bernard Bovigny (commentaires : 0)

Milos Milovanovic: entraîneur d'échecs par passion.

beb - Le but de chaque entraîneur est de se faire dépasser par ses élèves. Cela est même possible sans pour autant perdre de vue ses ambitions et ses buts personnels, comme le prouve Milos Milovanovic, entraîneur juniors chez Chess4Kids. Ses protégés et lui-même se stimulent mutuellement à donner le meilleur de soi.

Qu’est-ce qui caractérise un joueur et un entraîneur d’échecs à succès?

Des qualités psychologiques, une capacité d’empathie et une intelligence émotionnelle sont très importantes. Un bon entraîneur veille aussi à ce que les enfants agissent davantage par compréhension de la position qu’avec la mémoire. Un enseignement basé seulement sur la mémoire peut devenir très destructif.

Comment êtes-vous arrivés au sport échecs et quel rôle jouent les échecs dans votre vie?

Un très grand rôle. Le virus des échecs m’a contaminé en mars 2012 sur la Marktplatz à Zurich, où je suivais chaque jour à la pause de midi ce qui se passait sur les échiquiers géants. Les vidéos sur Youtube, en particulier les parties de Tal, m’ont émerveillé à cause de la diversité du jeu, puis tout est allé très vite. En septembre 20014, j’ai fait la connaissance de Peter Hug au club d’échecs de Küsnacht. Il était alors entraîneur chez Chess4kids. C’est ainsi que j’ai fait mes premières expériences de professeur d’échecs. Finalement, j’ai augmenté mon pensum d’entraînement – 8 à 10 tournois par année, ligues suisse et allemande – et j’ai versé de l’économie à une profession consacrée aux échecs. Le travail avec les enfants et les échecs m’apporte beaucoup plus, et c’est agréable de vivre cette passion et ces effets positifs. C’est bien entendu magnifique que ma femme l’accepte également.

Quelle pièce d’échecs reflète le mieux votre caractère et pourquoi?

Très clairement le cavalier. Déjà petit, j’étais confronté à des situations difficiles et je devais franchir divers obstacles. J’aurais aussi pu devenir un bon coureur de haies! Tout comme moi, le cavalier s’attaque à plusieurs choses à la fois et soutient très bien les faiblesses. Mais pour ce qui concerne le développement des enfants aux échecs, il vaut mieux qu’ils agissent moins par bonds, et plutôt de façon rectiligne comme une tour.

Chess4Kids est actif depuis 2010. On peut parler sans le moindre doute d’une véritable réussite.

Chez Chess4Kids, des entraîneurs jeunes et visionnaires sont à l’œuvre. Ils comprennent le langage des enfants et travaillent volontiers avec eux. Ça se sent. Nous savons aussi aider les enfants plus faibles à se concentrer. C’est un aspect qui a aussi des effets positifs sur les performances scolaires. Nos cours touchent depuis les «Minimaster»- dès 2 ans avec des jeux orientés vers les sens et les déplacements qui aident les enfants à extérioriser leurs émotions, et à bâtir leur prise de conscience et leur force interne, puis les «Maximasters» dès 6 ans jusqu’aux camps d’échecs lors des vacances. Nous couvrons un large spectre et organisons également de nombreuses manifestations. Cette réussite se base aussi sur le fait que nous ne dormons pas sur nos lauriers.

Avec Kala Kishan Udipi, vous entraînez une jeune pousse qui fait partie de l’élite mondiale dans sa catégorie d’âge et fait actuellement fureur en Suisse. Tout ce buzz semble pourtant le laisser de marbre.

Kishan est un incroyable talent qui joue simplement aux échecs avec plaisir. On ne peut malheureusement jamais éviter de tels préjugés à l’égard des gros talents, mais celui qui l’observe lors des tournois ne voit aucun signe de «contrainte défavorable» ou de pression. Sans motivation il n’y a aucune impulsion et le succès dépend du plaisir et d’une attitude positive, qui sont extrêmement perceptibles chez Kishan. La plus grande punition pour lui serait une journée sans les échecs. Ce qui m’impressionne chez lui à côté de l’échiquier, ce sont sa courtoisie sincère et son comportement exemplaire lors des tournois.

Une forme de statut spécial semble pourtant inévitable.

Il faut faire la distinction. Il est clair qu’un intérêt des médias soit tourné vers lui. Mais les enfants sont les enfants. Et chacun peut s’inscrire à un entraînement chez nous. Privilégier certains enfants heurte certains de mes principes. De plus, il n’est de loin pas notre seul talent. Un de ses plus grands talents est d’apprendre de façon autonome. Cela veut dire que quand je lui remets du matériel d’entraînement pour la maison et des devoirs, il les réalise avec précision et ponctualité. Lorsqu’il voit un but tactique ou stratégique, il l’atteint. Il lui suffit de trouver l’idée. La préparation au Championnat du monde U8 en novembre à Santiago de Compostela en Espagne ne consiste pas rabâcher des variantes et des exercices de mémoire nuisibles, mais plutôt à peaufiner les jugements de position afin de prendre les bonnes décisions et le passage de l’ouverture au milieu de partie.

Les responsables juniors d’échecs tirent tous à la même corde. Où voyez-vous un potentiel d’amélioration dans le développement des échecs juniors. Qu’est-ce que la Suisse / la Fédération des échecs fait de bien, et de moins bien?

C’est une des questions les plus importantes et les plus difficiles. Le nombre de tournois juniors a beaucoup augmenté, et il faut rendre un grand hommage aux différents clubs. Avec les cours de formation continue, J+S et Swiss Olympic, nous sommes aussi sur le bon chemin. Et en particulier l’élargissement vers des tournois U8 et bientôt U6 est à saluer. Par contre, du côté négatif, je considère certaines structures et règlementations de la Fédération comme dépassés. Il faut lire les signes des temps, adopter des règles particulières et avoir le courage de prendre davantage position contre certaines décisions. Une plus grande séparation des pouvoirs, un soutien plus précoce des talents (T-Cards), des règlements spéciaux dans les écoles sont les mots-clés. Il est important de reconnaître assez tôt les talents et de les soutenir correctement, pendant qu’ils occasionnent encore moins de coûts. La collaboration s’impose. Une concurrence saine devrait s’établir, ainsi les entraîneurs, les écoles d’échecs et les clubs pourraient atteindre beaucoup grâce à leur collaboration et en restant unis.

Comment expliqueriez-vous cette fascination pour le jeu d’échecs à un non connaisseur?

Des parties brèves avec des mots d’esprit et des exemples qui montrent l’ironie de l’appât du gain conviennent très bien au début. Selon mon expérience, ce sont les adultes qui sont trop matérialistes. On enthousiasme des juniors avec des histoires décontractées, de la mystique et justement des trucs de gosses. Il faut en quelque sorte emballer une partie dans un dessin animé et faire le lien entre l’histoire et le contenu. En mettant en évidence ce qui peut être fascinant dans les échecs et en utilisant des analogies avec la vie (caractère des pièces, fabulations), on peut rendre les échecs encore plus accessibles.

Quelle(s) personne(s) vous a (ont) le plus marqué? Et au niveau des échecs?

En ce qui concerne les champions d’échecs du passé, clairement Michail Tal. Son jeu risqué révèle une grande passion et sa capacité à jouer de façon incongrue est pratiquement incroyable. Au niveau personnel, j’ai pu beaucoup profiter de Roberto Schenker, qui m’a rendu plus serein avec sa façon d’agir équilibrée, raisonnable et neutre. Kishan aussi, avec sa ténacité, son zèle et son attention, me motive à atteindre mes buts personnels aux échecs. Amis ce n’est pas très loyal de citer aussi peu de personnes. La liste de celles et ceux qui m’ont marqué de près et de loin est certainement longue.

Durant des années, la Fédération suisse des échecs a subi une baisse du nombre de membres. Quelles mesures proposez-vous pour inverser la tendance?

Les échecs à l’école, davantage de tournois régionaux (pas seulement lors des temps forts) et une vie active dans les clubs sont les éléments centraux. Lors des tournois, il y a moins de prix selon les points Elo par catégorie, selon moi les écarts sont trop grands. «La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent», a affirmé Einstein. Il est vrai que les règlements dépassés peuvent freiner les idées visionnaires.

Au sujet de la présence des enfants et de leur sphère privée dans les médias sociaux et sur internet. A quoi faut-il être attentifs et quel rôle jouent les parents?

Chez Chess4Kids nous ne diffusons des informations ni sur le domicile ni sur l’âge des participants. Mais il faut surtout prendre des précautions dans le monde réel. Vigilance, connecter / déconnecter, garder les yeux ouverts et chez nous en particulier la bonne intégrité dans les quartiers de nos emplacements amène la sécurité. Si chacun agit – parents, clubs, enseignants, commune, Etat-, il est possible de protéger suffisamment les enfants.

Pourquoi y a-t-il si peu de femmes qui jouent aux échecs?

Récemment, une fille dans notre local partagé avec Gligoric Zürich, où sont exposés les portraits de tous les champions du monde d’échecs m’a demandé: «Pourquoi je devrais devenir championne d’échecs si au club vous ne suspendez même pas un portrait de moi sur la paroi?» Ça m’a laissé sans voix. Et à l’avenir, les photos des femmes importantes du sport échecs orneront nos murs. Actuellement, sur 90 élèves, j’accompagne 16 filles, ce qui est un bon quota. Un motif pour convaincre les femmes de tenter de jouer aux échecs: dans beaucoup de sports, elles sont inférieures aux hommes pour des raisons anatomiques. Les échecs n’en font évidemment pas partie.

Aujourd’hui, les enfants ont déjà un horaire très condensé. Que pensez-vous des échecs comme branche d’enseignement ou comme matière secondaire?

De mon point de vue, trois hobbys peuvent bien fonctionner ensemble, bien sûr un instrument de musique, un sport avec mouvements et enfin les échecs comme sport cérébral constitueraient un mélange équilibré. Qu’il existe des parallèles entre les échecs et les qualités enseignées et acquises à l’école est prouvé depuis longtemps.

«Tu sauras que tu es accro aux échecs quand tu prends un livre d’échecs pour te baigner et que tu oublies d’aller dans ton bain», selon Bill Wall. Etes-vous accro aux échecs ?

Accro n’est pas le bon mot. Une dépendance entraîne des contraintes incontrôlables. Je pense que le plaisir aux échecs est le terme qui convient. Il y a même des gens qui, grâce aux échecs, ont retrouvé un équilibre spirituel. Comment une telle chose pourrait-elle devenir mauvaise?

Un livre qui vous tient à cœur (pas forcément un livre d’échecs).

«La sagesse de l’âne – OU comment se libérer des lunettes», de Mirsakarim Norbekov.

 

Portrait en bref

Date de naissance: 15 mars 1989.

Domicile: Gottmadingen (D)

Profession: entraîneur d’échecs, instructeur FIDE, formation en économie.

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