Interview du mois avec le MI Christian Maier: «Un pour tous – tous pour un»

par Bernard Bovigny

Christian Maier: «Je crains que le seul moyen de contrer la baisse est de ne plus jouer, ce qui ne constitue pas une option pour moi.» (Photo: Frank Hoppe, Fédération allemand d’échecs)

beb - Peu de joueurs peuvent se targuer d’avoir joué autant de parties de Championnat suisse par équipes de Ligue nationale A que le MI Christian Maier. Comment l’Allemand de 65 ans a-t-il pu maintenir son niveau?

Vous allez disputer votre 41e saison de LNA et vous jouerez ce dimanche avec Réti Zürich contre le tenant du titre Riehen. Qu’est ce qui vous passe par la tête actuellement?

En fait, exactement comme à l’échiquier: rien de particulier. Je me réjouis de la vie.

Comment parvenez-vous à maintenir votre niveau après toutes ces années?

Si vous pensez à mon niveau d’échecs, je ne le peux malheureusement pas.

Malgré tout, nous constatons qu’entre 1982 et 2014 vous avez été douze fois champion suisse avec les équipes d’Allschwil, Bienne et Réti. Comment cela a-t-il été possible?

Mes sept coéquipiers ont été suffisamment forts durant ces saisons pour me compenser!

Demeurer modeste est une bonne stratégie. Mais parlons des succès. Lequel de ces titres a été le plus beau et pourquoi?

En fait, le premier titre en 1982. Avec Allschwil, nous étions cotés tout au plus numéro trois derrière Zürich et Bienne. Et pourtant nous sommes parvenus trois fois à décrocher le titre avec une équipe qui n’était pas favorite.

Gardez-vous un souvenir particulier d’une de vos 237 parties de Ligue nationale A?

En 1985, j’ai réussi à faire nul avec les noirs dans une partie complètement folle contre Viktor Kortchnoi. Après la partie, il a confirmé que j’avais joué à des échecs de tea-room, mais quand même avec succès…

Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit si l’on évoque l’année échiquéenne 1984?

George Orwell.

Et si vous pouviez effacer de votre mémoire une partie de CSE?

Plutôt un bon nombre. Les pires sont celles qui ont été perdues alors que le score était de 3½:3½ et les nulles qui ont amené à un 3:4.

Qu’est ce qui fait le charme sportif des championnats par équipes?

Je pense que c‘est la même chose pour tous les joueurs d’échecs et pour toutes les disciplines sportives: un pour tous, tous pour un.

Est-ce que ça fait une différence pour vous de disputer un match par équipes ou un tournoi individuel?

Je le pense, oui.

En parallèle avec le CSE, avez-vous participé à des championnats par équipes dans d’autres pays?

Je joue encore quelques parties à l’occasion en Ligue supérieure dans le Bad et plus rarement en Belgique et en France.

Quels ont été vos plus grands succès en dehors des douze titres en CSE?

Deux fois champion et trois fois vainqueur de la coupe du Bad, participation à trois championnats allemands individuels, entre autres le «championnat du siècle» en 1998. Au Grenke-Open en 2016 à Karlsruhe, j’ai manqué en dernière ronde la norme de GM d’un demi-point. En plus, ça me fait plaisir de battre de temps à autre un très fort adversaire. Sinon, je suis surtout meilleur en blitz…

Durant toutes ces années, vous avez travaillé avec succès comme vendeur chez IBM. Comment avez-vous pu concilier votre carrière professionnelle avec votre activité échiquéenne à un haut niveau?

En n’investissant 100% de mon énergie ni dans l’un ni dans l’autre (sourire). C’est de toute façon la famille qui a nécessité le plus d’énergie.

A propos du travail: vous avez fêté vos 65 ans le 29 janvier. En Suisse, cela correspond à l’âge de la retraite. Qu’en est-il pour vous, qui habitez en Allemagne voisine?

Après 32 ans d’activité professionnelle en Suisse, je jouis maintenant depuis plus de trois ans de la retraite.

Participez-vous aussi à des tournois seniors, par exemple aux championnats mondiaux ou européens?

J’ai commencé il y a à peu près deux ans à jouer chez les seniors. Mais je préfère les tournois mixtes, auxquels participent des plus jeunes.

Tout comme les amateurs, les joueurs d‘élite baissent de niveau avec l’âge. Alors que vous aviez encore 2405 Elo FIDE il y a huit ans, vous pointez actuellement à 2260. Y a-t-il une explication à ça?

On ne peut pas éviter la baisse des points Elo. C’est le tribut de l’âge. On se contente plus souvent de suivre ses impressions que de calculer les variantes jusqu’au bout. L’angle d’approche aux échecs a changé: Autrefois nous attendions six mois sur l’Informateur d’échecs, alors qu’aujourd’hui chacun a accès en quelques secondes à un nombre illimité d’informations sur les échecs. Et les jeunes joueurs peuvent encore les retravailler rapidement. Ils apprennent de façon très efficace sur et avec les moyens techniques. Si l’on surfe sur différents serveurs en ligne, on tombe toujours plus fréquemment sur des adversaires qui ne se sont formés que sur internet. C’était encore inimaginable il y a 20 ans.

Comment gérez-vous cette baisse?

Décontracté. Ce n’est pas ça qui m’arrête, tout au plus ça me freine un peu.

Que faites-vous concrètement comme entraînement afin de contrer la baisse des points Elo?

Je n’arrive plus depuis longtemps à m’astreindre à un véritable entraînement, si ce n’est des parties blitz 3+0 (note: trois minutes de réflexion sans ajout de temps) sur un serveur d’échecs. Je crains que le seul moyen de contrer la baisse est de ne plus jouer, ce qui ne constitue pas une option pour moi.

Autrefois vous avez joué dans des équipes avec des ambitions pour le titre. Peut-on dire qu’avec Réti vous luttez contre la relégation?

Certainement pas.

Combien de temps verrons-nous encore Christian Maier jouer en Ligue nationale A?

Aussi longtemps que je suis titulaire et que je peux me trimbaler seul à l’échiquier.

Interview: Graziano Orsi

Traduction: Bernard Bovigny

 

Christian Maier en personne

Domicile: Staufen, dans le Baden-Württemberg.

Âge: 65.

Profession: retraité.

Hobbys: voyage, langues, cuisine, apprécier un repas et du vin, randonnée, vélo.

Club: ASK Réti.

Titre: Maître international depuis 2004.

Plus haute cotation Elo FIDE: 2405 (en 2016).

Elo FIDE actuel: 2260.

Plus haute cotation Elo FSE: 2404 (en 2005).

Actuelle cotation Elo FSE: 2346.

Succès en CSE: douze fois champion suisse (1982, 1984, 1985, 1988, 1992, 1993, 1994, 1995 avec Allschwil, 2000 et 2001 avec Bienne, 2013 et 2014 avec Réti). Bilan en Ligue nationale A en 40 saisons entre 1982 et 2023: 237 parties, 95 victoires, 90 nulles, 52 défaites, soit 59% de points. Plus haute  performance Elo en Ligue nationale A: 2680 en 2004 avec Sorab (4½ points en 5 parties).

Joueur d’échecs préféré: Volodar Murzin.

Un conseil pour un livre d’échecs: Moins c’est plus.

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