Interview du mois avec Roger Gloor: «Le cavalier et une pièce rusée»

par Bernard Bovigny

Roger Gloor alias Alexander Rodshtein a commencé à demander à des personnes ce qui les animait vraiment.

beb - Roger Gloor est l’auteur de l’ouvrage «Wer bin ich eigentlich?» («Qui suis-je en fait?»), rédigé sous le pseudonyme d’Alexander Rodshtein et dans lequel les échecs Tiennent une place bien plus importante qu’il ne paraît.

Avez-vous trouvé personnellement une réponse au titre de votre livre «Qui suis-je en fait?»

Oui, mais cette réponse varie sans cesse, bien qu’au milieu de la vingtaine j’avais fait quelques découvertes plus importantes. Cela a aussi été une raison pour laquelle dès ce moment j’étais moins souvent à l’échiquier.

Pour vous, il n’y avait que les échecs et seulement les échecs. Révélez-nous une découverte qui a provoqué ce changement.

En fait je me sentais très bien à l’intérieur du monde familier des échecs, mais je remarquais toujours plus qu’il y avait beaucoup à découvrir à l’extérieur. Le roi des jeux n’est de loin pas le seul lieu où l’on peut déborder de créativité.

Vous vous êtes exprimé par écrit et de façon créative à travers trente portraits. C’est là votre œuvre. Mais on cherche en vain un portrait dans lequel les échecs jouent un rôle important.

Il est vrai que les mauvaises langues pourraient prétendre que c’était intentionnel. Mais je me suis laissé surprendre par ce que les gens avaient à me raconter. Comme si on se lançait dans une partie sans aucune préparation.

De quoi faudrait-il parler? Du roi des jeux ou de votre passionnante histoire de vie?

Peut-être pouvons-nous lier les deux?

Oui, nous le pouvons. Votre livre contient des souvenirs particuliers. En avez-vous sur votre premier tournoi d’échecs?

Oui, j’ai même trouvé une photo pixellisée de ma première participation au tournoi juniors par équipes à Therwil en 2003. J’avais onze ans et je m’asseyais totalement décontracté devant l’échiquier.

Doit-on en déduire que cette décontraction a ensuite diminué?

J’avais de grandes ambitions alors que je devais avoir deux ans de retard sur les meilleurs enfants. Mais la pression ne m’est venue que de moi-même.

Et quels succès avez-vous concrètement obtenus par les échecs?

Par exemple j’ai remporté le Championnat suisse U18 de parties rapides. J’ai aussi de bons souvenirs de l’Open de Bienne 2012, où j’ai gagné contre deux Grands-Maîtres et deux Maîtres internationaux.

Malgré ça, vous avez arrêté? Ça doit être passionnant d’entendre les motifs.

Lorsque j’avais 23 ans, mon Elo a stagné vers 2350. Il aurait fallu encore quelques efforts, surtout avec les ouvertures, pour atteindre le niveau de Maître international. Mais comme mes intérêts s’étaient déplacés, il devenait toujours plus difficile de me motiver pour les entraînements. Je peux apprécier le jeu sans ressentir d’ambition seulement depuis peu de temps, c’est ainsi que j’ai joué quelques parties en 2e ligue de Championnat suisse par équipes.

Revenons à votre livre. Peut-on également en parler en terme de succès et/ou de projet passionnant?

Pour moi personnellement, tout à fait. D’un point de vue financier, il ne va pas me rendre riche, mais m’enrichir dans mon cœur, pour le dire de façon kitsch. J’espère en fin de compte qu’il pourra apporter un conseil au maximum de gens possibles. Toucher les autres à travers mon travail, telle est ma définition du succès.

Prenons une pièce d’échecs. Laquelle est votre préférée et pour quelle raison?

Le cavalier est une pièce rusée. Dans le feu de l’action, même les joueurs expérimentés ont été une fois victimes d’une fourchette. Son mode de déplacement particulier par rapport aux autres pièces me plaît – peut-être comme dans la vie réelle.

Y a-t-il dans votre livre des points clés ou des souvenirs inoubliables?

Un extrait qui m’impressionne toujours se trouve dans le premier portrait. Hana photographie son père dément, et comme elle le fait depuis des décennies, il se sent à ce moment-là comme autrefois, car des souvenirs anciens s’éveillent en lui. Cela touche la peur de perdre un être cher. Je découvre là le rôle important joué par les pertes dans nos vies. Les échecs ne constituent pas une exception.

Vous faites un lien entre les pertes dans la vie et les échecs. Pouvez-vous l’expliquer et éventuellement le développer à l’aide d’un exemple concret?

La gestion de la perte joue un rôle important aux échecs. Dans quelle autre activité y a-t-il autant de moments surprenants? Nous connaissons tous le choc de manquer quelque chose dans une position gagnante et de perdre. Ce n’est pas différent dans la vie. Par exemple: un cancer est diagnostiqué chez une personne que tu croyais en très bonne santé. Comment gères-tu une telle situation? Heureusement, il y a aussi beaucoup de changements inattendus vers le mieux.

Le célèbre poète espagnol Miguel Cervantes a affirmé que la vie était une partie d’échecs. Voyez-vous aussi des parallèles?

Oui, par exemple au sujet des décisions. Parfois tu as pas mal de possibilités à disposition et tu dois te fier à ton intuition car tu n’as aucune chance de prévoir les conséquences. Et lorsque tu t’es décidé, il n’y a souvent plus de retour possible. Ensuite, il faut s’adapter à la situation.

Qu’est-ce que votre livre a changé dans votre vie?

Je n’ai pas encore perçu de changements fondamentaux. Il est plutôt un outil pour montrer au monde extérieur autour de quoi s’articule une part de mon travail. Après la parution, je ne me lève pas rayonnant chaque jour simplement du fait d’avoir pu réaliser un de mes rêves.

Quel bénéfice ou quel plaisir en tireront les lectrices et lecteurs?

Le livre est un grand trésor d’expériences, issues des situations de vie les plus diverses. Il est tout à fait possible qu’à la fin, un lecteur se dise: «Ah, je n’avais pas envisagé ça, je pourrais vraiment l’essayer une fois de cette façon.» Les histoires sont un élargissement de l’horizon, comme je me plais à le dire. C’est un peu comme si aux échecs, alors que j’ai un répertoire fixé sur e4, je jette une fois un regard sur 1. d4.

 

Interview: Graziano Orsi

Traduction: Bernard Bovigny

 

Le livre de Roger Gloor

Alexander Rodshtein: «Wer bin ich eigentlich?» Livre avec reliure cousue, 272 pages, 40 illustrations couleur

Dimensions/ poids: 24,5 x 17,7 x 2,4 cm, 815 gr.

1ère édition 2023 (imprimé en Suisse) ISBN 978-3-033-09752-0.

Prix: dès 47 francs.

Lien internet

Article dans l’«Aargauer Zeitung».

Roger Gloor en personne

Domicile: Suhr/AG.

Âge: 32 ans

Profession: auteur indépendant et producteur vidéo.

Hobbys: échecs, squash, photographie, lecture.

Elo suisse: 2356 (liste 5/23).

Club: Aarau.

Joueur d’échecs préféré: Alireza Firouzja. Je suis impressionné qu’il ait appris les échecs relativement tard, à huit ans, et qu’il ait réalisé une telle ascension. En plus, il se consacre à une carrière dans l’industrie de la mode (d’après ce que j’ai entendu), bien qu’il soit totalement fixé sur l’obtention du titre de champion du monde.

Un livre d’échecs: La série «Grandmaster Preparation» de Jacob Aagaard. Les explications authentiques et divertissantes de l’auteur me plaisent, tout comme les abondants exercices. Ces livres m’ont donné de nouvelles approches dans mon jeu.

« « « « « Retour