Generation CHess: interview avec Philippe Jeanneret (président du CE Genève) – «Nos cours pour enfants attirent les jeunes filles»

par Bernard Bovigny

Philippe Jeanneret: «Nous n’avons pas attendu ‘Generation CHess’ pour recruter de nouveaux membres. Mais le mérite de cette campagne de la FSE est de permettre de surfer sur des stratégies qui fonctionnent et d’ajouter des suggestions.»

beb - Au début 2022, sur les 185 membres inscrits au Club d’échecs de Genève, 27 sont des femmes ou des filles, ce qui représente environ 15%. C’est donc plus du double de la moyenne nationale qui se situe entre 6 et 7%.

 

Cette présence encourageante est due essentiellement aux cours d’échecs, qui attirent beaucoup de filles, surtout chez les plus jeunes. Mais ces dernières restent minoritaires, relève le président du CE de Genève, Philippe Jeanneret, dans un interview de Bernard Bovigny.

 

Quel effet a eu la pandémie sur le nombre de membres au CE Genève?

 

Philippe Jeanneret: Malgré la pandémie et les mesures sanitaires, nos effectifs sont restés assez stables. Nous avons cependant plus de fluctuations que d’habitude chez les jeunes, au niveau des cours, dans la mesure où, chaque année, nous sommes confrontés à des vagues de départs et à des vagues d’arrivées. De manière générale, les membres plus âgés ont renoncé à nos activités, mais la majorité d’entre eux sont restés fidèles au club. Cela dit, le décès de Gilles Miralles, qui était très actif dans le domaine de la relève, a porté un coup dur au Club.

 

Les jeunes qui fréquentent vos cours sont-ils inscrits à la FSE?

 

Nous les inscrivons systématiquement à la FSE pour les lancer dans la compétition. Nous les incitons également à participer à des tournois. Mais il est vrai que lorsque le niveau est élevé, cela peut décourager les débutants, c’est pourquoi nous privilégions les tournois destinés aux jeunes, où ces derniers risquent moins d’accumuler les défaites. Car un enfant doit connaître le plaisir de gagner, sinon il ne croche pas au jeu!

 

Proposez-vous des activités spécifiques pour les filles?

 

Non, nos cours rassemblent les filles et les garçons. Lorsque nous lançons des catégories spéciales dans les tournois, c’est plutôt en fonction des niveaux.

 

A quoi est dû le nombre important de femmes et de filles dans votre club? Avez-vous mené une campagne ciblée?

 

En proposant des cours pour des enfants en bas âge, nous essayons d’attirer les jeunes filles au même titre que les garçons. Donc en soi, il n’y a pas de campagne ciblée, mais une plutôt une stratégie globale pour accueillir les jeunes de toutes les catégories. Pour la petite histoire, nous avons remarqué que plus il y a de jeunes filles dans un cours, plus il y a de chances que cela en attire d’autres! La fratrie peut aussi jouer un rôle: des frères et sœurs s’inscrivent souvent à nos cours.

 

On dit parfois que les filles ont tendance à arrêter les échecs dès le Collège, est-ce le cas?

 

En arrivant à l’adolescence, les jeunes multiplient leurs activités, leurs études prennent plus de place, leur vie sociale devient également plus chronophage, notamment à cause des réseaux sociaux – cela touche autant les jeunes filles que les garçons -, mais si leur niveau est bon, ils persistent en général… La difficulté de poursuivre des activités échiquéennes est en revanche plus compliquée pour les femmes, lorsqu’elles se marient ou lorsqu’elles ont des enfants. Le soutien familial – en particulier celui du conjoint – est déterminant pour garder un bon niveau. Force est de le constater, les femmes ne sont pas toujours suffisamment aidées dans ce domaine.

 

Qu’est-ce qui fait qu’une fille continue les échecs?

 

Nous avons le sentiment au CEG qu’il s’agit d’un ensemble de facteurs. Par exemple, les amitiés qui se développent dans le cadre des échecs, les bons résultats dans les compétitions, les relations avec les coachs ou encore le soutien de la famille, bien que ce dernier perde de son influence au fur et à mesure que les jeunes grandissent.

 

Avez-vous entrepris quelque chose dans le cadre du projet «Generation CHess»?

 

Plusieurs de nos activités correspondent aux propositions lancées dans ce cadre. Par exemple:

- Des tournois avec un aspect festif, comme à la Fête de l’Escalade.

- Des tournois exhibition, des simultanées (dernièrement avec l’ancien champion du monde Vladimir Kramnik).

- Des tournois Open, qui permettent à des joueurs de niveau moyen d’affronter des Maîtres. Nous avons eu un immense succès avec l’Open-rapide du CEG, qui a attiré 165 participants alors qu’ils étaient 60 à 80 lors des éditions précédentes. Le tournoi a eu lieu à un moment de relâchement des mesures sanitaires et les joueuses et joueurs avaient envie de renouer avec la compétition.

- Nous nous efforçons de garder à jour notre site internet pour donner aux gens l’envie de se lancer dans les échecs.

- Durant la pandémie, nous avons développé des activités en ligne, qui ont continué après la levée des mesures, comme des Masterclass avec Romain Edouard. Je dois aussi souligner que Patrice Delpin fait beaucoup pour populariser les échecs. Nous avons de la chance de pouvoir compter sur lui.

De manière générale, nous n’avons pas attendu «Generation CHess» pour recruter de nouveaux membres. Mais le mérite de cette campagne de la FSE est de permettre de surfer sur des stratégies qui fonctionnent et d’ajouter des suggestions. A l’instar de beaucoup de clubs suisses, notre tâche n’est pas toujours aisée, nous manquons de bénévoles pour assumer toutes ces tâches. Et avec la nouvelle règlementation des championnats par équipes, nous manquons aussi d’arbitres!

 

La FIDE a lancé «L’Année de la femme» aux échecs, votre point de vue sur cette initiative?

 

C’est une très bonne idée, qui surfe sur la vague de la série «The Queen’s Gambit». Excellent film au demeurant, les parties présentées ont été choisies par Garry Kasparov. La série rappelle que les femmes peuvent faire aussi bien aux échecs que les hommes. Au-delà de ces aspects, cette campagne permet de briser cette fausse idée selon laquelle les échecs sont uniquement destinés aux garçons. Les filles ont aussi droit à ce plaisir!

 

Eternelle question: à quoi attribuez-vous la présence et le niveau généralement inférieurs des filles et des femmes aux échecs?

 

Il est vrai que la meilleure joueuse, la Chinoise Hou Yifan, pointe à la 99e place mondiale, loin devant les autres femmes. Mais ces dernières peuvent vraiment rivaliser avec les hommes, comme l’a montré Judith Polgar, qui a fait partie du Top 10 mondial dans les années 90. Elle reste «ma star»… Il me semble que la différence de niveau actuelle est due à un ensemble de facteurs. Il y a un d’abord un problème de culture – aussi bien dans les pays occidentaux que dans le reste du Monde –, on apprend à jouer aux échecs aux garçons, pas aux filles. Le fait que la proportion de femmes soit assez faible dans le monde échiquéen ne les incite par ailleurs pas se lancer. Et la maternité représente souvent un frein à leur progression.

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